Le ZÉRO : la nouvelle monnaie du quartier Moncey

Marta Caradec, artiste plasticienne en résidence dans le quartier Moncey-Voltaire, a créé récemment 3 billets pour la banque du Pont, en ZÉRO, monnaie locale du quartier. L'intéressant dans sa démarche est qu'elle utilise en fond de ses billets, des plans de ville ou de quartier et qu'elle s'appuie sur l'histoire locale pour animer ce fond. Voici le produit de sa création, accompagné du commentaire sur ses choix de mises en forme. Un regard original et chaleureux sur la vie d'un quartier confronté au projet de transformation de la rue Moncey en "promenade piétonnière" et aux interrogations sur le devenir du CLIP et de la place Ballanche.

"L’association Filigrane m’a invité à intervenir sur le quartier de la Place du Pont de Lyon. Cette structure est en lien avec plusieurs partenaires du quartier, et plus spécifiquement avec le Centre Social Bonnefoi. Pendant un an, j’ai fait des allées et venues dans le quartier. Je travaille essentiellement à partir de cartes et du coup m’intéresse rapidement à l’histoire du quartier. Dans ce cas, elle est extrêmement riche et bien documentée, je ne prétends pas avoir épuisé tous les travaux écrits sur ce territoire. J’ai préféré la parole des acteurs concernés, les institutions, les élus, les archives, les habitants… etc..

Je détaille ci-dessous les informations récoltées et mises en forme sur les billets. La monnaie s’appelle Zéro : c’est la monnaie du peuple, la majorité silencieuse, la quantité nulle, mais non négligeable."

C’est une carte non datée, mais à priori avant 1996. Je l’ai prise en photo dans le bureau du directeur de l’école Painlevé.

Le thème est l’architecture, et c’est sciemment que j’ai choisi une carte antérieure à la construction du Clip. Comme symbole architectural du quartier, l’école.

Les valeurs sont celles de la République qu’elle défend ardemment. Ces mêmes valeurs m’ont été citées par les habitants, elles ne font plus l’unanimité. Certains les considèrent comme toujours opérantes et d’autres déplorent l’hypocrisie. Les motifs sont ceux des bijoux berbères et des robes de fêtes. Les mains sont celles des commerçants (bouchers, pâtissiers, menuisier et la personne qui m’héberge).

L’image de fond est une portion du "plan des terrains du Port aux bois et du Plâtre 1796" des Archives municipales de Lyon. Il montre le dessin du quartier avant même sa construction. Il figure clairement les canaux parallèles au Rhône, cette zone inondable et le fait que le pont débouche directement sur la place qui n’est pas nommée.

Les filigranes, présents sur tous les billets, sont les motifs de frottis de semelles des enfants du Centre Social Bonnefoi. Ils fêtent tous les ans le festival des Passants, et rappellent ainsi la nature de ces quelques rues : un lieu de passage.

Les valeurs m’ont été proposées par les habitants : respect, mixité et fierté (celle que j’ai ressentie). Le respect s’est manifesté sous la forme d’une politesse permanente.

La Banque du Pont est l’émetteur du billet, son logo s’inspire de celui de 1972 du Prisunic. Le magasin était à la place du Clip actuel et encore présent dans l’imaginaire d’une certaine génération.

Le thème animalier est issu des échanges avec la population comme de la présence de bouchers. La plupart sont des motifs glanés sur les produits vendus chez les commerçants du quartier (semoule, thé, sel, thon). Hello Kitty représente le commissariat qui par devoir de réserve n’a pu s’exprimer. Il chasse les souris, vendeuses de Malboro place Gabriel Péri. La chèvre casquée est le symbole de Scanderbeg, héros national albanais, une des dernières migrations. Un lion (bas-relief du XIIe siècle du Musée Gadagne) mord une hyène : les loulous d’hier avaient une morale à contrario des voyous d’aujourd’hui, dixit les habitants.

Le fond est une portion du "plan topographique de la ville de la Guillotière, 1845" des archives municipales de Lyon. Il est presque concomitant à l’annexion de la Guillotière par la ville de Lyon (1852).

On y retrouve les filigranes et le logo qui crée une unité dans la série.

Comme le public m’a proposé une liste de valeurs, j’ai choisi de ne pas en privilégier certaines sur d’autres. Ici c’est générosité, fraternité, bienveillance et cosmopolite qui passent toutes bien autour de la table.

Le thème est l’alimentation, comme point de rencontre entre plusieurs cultures. Les pâtes italiennes de toutes formes, les gâteaux au miel du Maghreb, la figue et le raisin pour la Méditerranée, la grenade pour le Moyen-Orient (Arménie, Turquie, Iran). Le Rhône charrie des montagnes de semoule, des piles de dattes et divers fruits secs. Sur la portion du quartier, les motifs de Gandoura (robe de fête) algérienne, pour leur goût du doré et leur présence réelle dans le quartier.

Texte et photos : Marta Caradec

un clic sur chaque billet permet de voir la richesse des détails

Pour en savoir plus sur l'artiste et sa démarche